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La Sorbonne, le Vin et les Jeunes |
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Le lieu à lui tout seul en valait la chandelle. La Sorbonne, antre du savoir et de l’éducation, accueillait jeudi soir dernier la conférence au titre aussi ambitieux que les têtes pensantes y ayant usé leurs fonds de culotte : « l’éducation au vin chez les jeunes : clé d’une consommation responsable et modérée? ». Sous l’égide de Denis Saverot (rédacteur en chef de la Revue du Vin de France) et de Bernard Farges (président du syndicat des vins des Bordeaux Bordeaux Supérieur), la soirée voyait défiler des intervenants dissertant sur les moyens mis et à mettre en œuvre pour mener les jeunes à une consommation du vin responsable et modérée.
A l’heure où le vin se voit diabolisé (voir le verre de rosé en couverture du magazine Valeurs Mutualistes de sept-oct 2007 pour illustrer le sujet principal : Alcool, halte aux dégâts), dans une époque où le vin est désormais un délit, dans une France enclin à dilapider son propre patrimoine, il semble que promouvoir le boire moins mais mieux soit un impératif. Surtout auprès des jeunes.
Dans une salle prodigieusement ornée de peintures, de lustres, de vitraux ou encore de boiseries dorées, et devant un par-terre de gens du monde du vin et de journalistes, Jean-Robert Pitte, président de l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV), passionné de vin et auteur d’ouvrages sur la question, lance le débat de façon convaincante et pédagogique. Notant que la consommation de vin en France a chuté de 51% depuis 1961 et de 13% pour l’alcool, il insiste que «le but n’est pas de pousser à la consommation mais de créer un désir.» Partisan de l’éducation et de la responsabilisation, il s’oppose au tout-interdit. Le vin et l’olivier sont les racines de notre civilisation. Les diaboliser reviendrait à rejeter les fondements de notre propre culture. « Dans le Coran, le prophète, ayant constaté les dégâts du vin sur son peuple, décide de leur interdire et qu’ils pourront en jouir au paradis. » Jean-Pierre Pitte respecte ce choix mais ne considère pas l’interdit comme la meilleure des méthodes pour responsabiliser les gens. L’auteur de « Bordeaux, Bourgogne, des passions rivales » est convaincu qu’il faut parler du vin au lycée. « Le vin comme un reflet du terroir » serait un parfait sujet d’étude en histoire et géographie. La séance s’achèverait par une dégustation. Elle serait suivie d’ « une visite sur le terrain afin que les élèves puissent découvrir le milieu, le savoir-faire, le talent, l’art du vigneron. » Car pour Jean-Pierre Pitte, faire du vin est un art. Le doux rêveur serait curieux de suivre le parcours d’un vigneron sur une année afin de relever toutes les décisions, fussent-elles infimes, qui font le vin. Les métiers de la vigne pour enseigner la gestion de l’entreprise seraient également au programme de l’école selon J.P. Pitte. Par ailleurs, le vin pourrait également s’avérer excellente initiation à la complexité : « le vin, métaphore de la société, de la complexité humaine. » L’ambition, (le rêve ?), du géographe : « faire entrer le vin dans l’Education Nationale et faire comprendre aux jeunes que la qualité est accessible à tous. »
Le Docteur Louis Pizzaro, médecin, également engagé dans des activités humanitaires et amateur de vin à qui il arrive de signer des chroniques dans la RVVF, s’interroge sur ce qu’il faut enseigner en matière de vin. Prenant les grandes écoles de Cambridge et d’Oxford en exemple, il évoque les compétitions entre les deux fameuses villes anglaises (Master of Wine) et le partage du vin entre professeurs et étudiants comme étant une vieille coutume britannique. Parmi les initiatives, il évoque le Bacchus de l’université de Montpellier et les différents clubs de dégustation et d’œnologie dans les grandes écoles françaises. Il finit son intervention en regrettant la dichotomie entre la rentabilité économique et la nécessité de responsabiliser.
Vient ensuite le quart d’heure humoristique avec le député de la Gironde (UMP) et Vice Président du groupe viticole à l’Assemblée Nationale, Jean-Paul Garraud. Manifestement arrivé les mains dans les poches sans avoir préparé quoi que ce soit, monsieur Garraud va multiplier les inepties (« on voit de plus en plus d’acteurs boire du vin dans les films américains et on n’en voit plus dans le cinéma français », normal quand on ne va jamais au cinéma monsieur le député, démonstration au passage de votre américanisation), les clichés politiciens (« le vin, un sujet qui transcende les clivages politiques », effectivement, depuis la loi Evin, tous les gouvernements sont d’accord pour laminer le vin français) et le blabla de circonstance (« Il faut arriver à faire comprendre la dimension de ce produit par des mesures non discriminantes »), circonstanciel quand on envisage de faire passer les limites de consommation au volant de 0,5 à 0,2g (voire 0), quand on réprime à tour de bras et qu’on n’a pas été fichu d’empêcher la création (par ses paires UMPistes !!) du logo signifiant la dangerosité du vin sur le fœtus des femmes enceintes, un signe excluant la responsabilisation et confirmant l’infantilisation ambiante. Garraud le regrette, prouvant son impuissance au passage. Si ce n’est son incompétence. Il s’est tourné vers une commissaire européenne pour régler le problème mais cette dernière lui a répondu, à juste titre, que c’était un problème franco-français. En somme, voyez ça avec votre oenophobe de président.
Le manque de clarté et la complaisance dans le flou auront également symbolisé ce discours (le speech, devrais-je écrire) dont l’hémorragie d'errements aurait nécessité un garrot. « Le conseil de modération » : de quoi s’agit-il monsieur Garraud ? « La mission d’information a rendu son rapport » : mais encore ? Que dit ce rapport ? Quelle est le dessein de cette mission ?
« Il faut modifier la loi Evin » : comment ? Quelles sont vos méthodes et vos moyens ? S’inscrivant dans le conceptuel plus que dans l’action, dans le verbiage plus que dans l’agissement, n’abordant pas une seule fois le sujet de la conférence (éducation, responsabilisation, jeunes… ne font pas partis du lexique de M. Garraud), le politique, hors sujet sur cet oral, aura néanmoins réussi une chose : nous confirmer qu’il ne faudra pas compter sur le gouvernement de François Fillon pour redorer le blason du vin français et pour éduquer les jeunes à une consommation raisonnable et réfléchie de vin. Normal, ça coûte de l’argent et ça n’en rapporte pas.
Le Docteur Lanzman vient ensuite nous parler du French Paradox : les français connaissent la mortalité cardio-vasculaire la plus basse du monde. Enfin, presque, le cas existe aussi au Japon – en dehors des Sumo (ndlr). La mortalité de toute cause est également inférieure de 20% chez les buveurs de vin. Des chiffres intéressants et qui confirment en effet les bénéfices thérapeutiques du vin. Mais il n’est pas arrivé le jour où l’on mettra un patient sous chinon pour faire baisser son taux de cholestérol.
La thèse du French Paradox est d’ailleurs vite battue en brèche par Hubert Sacy, directeur général d’Educ’alcool au Québec. Educ’alcool est un organisme indépendant et sans but lucratif qui met en place depuis près de vingt ans des programmes de prévention et d’éducation, en particulier à destination des jeunes, visant à promouvoir la culture du goût, de la dégustation, au détriment de la culture de l’ivresse. Leur slogan : « la modération a bien meilleur goût. »
Le sentiment qui se dégage au final est mitigé. Cette conférence aura eu le mérite de soulever un thème majeur de notre société : éduquer les jeunes à la modération et à la responsabilisation. Cela ne se fera pas sans l’aide des gouvernements, des écoles, des acteurs du monde du vin et des parents. Le sujet est sensible, la tâche ardue, dans le sens où il s’agit de détourner les jeunes des alcools forts (entre les mains de lobbies puissants et insensibles à la santé des jeunes) pour les amener à une consommation de vin sans tomber dans l’excès. Point positif pour le vin, cette dernière condition semble s’imposer naturellement, le vin rimant avec "convivialité", "communion", "amitié", "famille", "culture" et non avec "beuverie", pour faire court. Cependant, le goût et l'argent guidant naturellement les choix des jeunes, on regrettera que si, en France, l’on peut se procurer du vin pour moins de 3€, le facteur chance quant à sa qualité et sa « buvabilité » joue une part prépondérante.
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 | Publié le 02 octobre 2007 à 14:12:14 MST |
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